d’une oreille distraite

Ecoutant d’une oreille distraite, je comprenais parfaitement tout ce qu’elle disait, jusqu’au moment où, dans un moment d’attention, j’ai brusquement cessé de comprendre pour réaliser qu’elle parlait roumain.

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sur le chemin de damas

Cher Seigneur,

Dois-je considérer que les gens qui tuent tout le monde sur la route de Damas sont un message de Ta part, ou bien simplement des fous furieux que tu as oublié de ranger ?

Ton humble serviteur,
Paul

***

Paul,

Ce n’est pas la lune qui fait brûler les buissons, et il faut parfois ranger dehors le désordre qui est dedans.

Ton XXXX

***

Cher Seigneur XXXX,

Non, ce n’est effectivement pas la lune qui fait brûler les buissons, mais plutôt les explosifs. Néanmoins, les buissons sont rares par ici et ce sont surtout les gens qui brûlent (mais effectivement, ce n’est pas non plus la lune qui les fait brûler).
Je devine bien ce que tu entends par “le désordre qui est dedans” et qu’il faut “ranger dehors”, mais dans l’immédiat, le désordre est un peu partout, et je voudrais juste savoir si je dois l’interpréter comme un signe de quelque chose qu’il faudrait que je fasse en rapport avec Ta volonté, ou si c’est ok que je me tire d’ici le plus vite possible ?

Ton humble mais un peu pressé serviteur,
Paul

***

Paul,

XXXX n’est pas mon nom, car mon nom ne doit pas être prononcé.
XXXX est le signe de mon nom.
J’utilisais CCCC avant, mais la touche de mon clavier est trop usée, alors j’ai pris celle d’à côté.
Donc appelle-moi Seigneur, pas XXXX.

Ton XXXX

***

Cher Seigneur, pas XXXX,

Concernant les gens qui brûlent ?

Ton humble mais quand même sympa serviteur,
Paul

*** 

Paul,

Seigneur tout court.
Laisse XXXX de côté. Oublie XXXX. Je signe XXXX, mais c’est pour mettre un truc.
Oui, bien sûr que tu es sympa. L’humilité et le côté sympathique d’un caractère ne sont pas antinomiques. Tu es une personne de valeur, Paul. Ne te dénigre pas ainsi tout le temps, c’est déprimant.

Ton XXXX

***

Seigneur,

Les gens qui brûlent ?

***

Paul,

Tu me déprimes. Tu parles de choses tellement déprimantes. Tu n’as aucune idée de ce que c’est que d’être à ma place. Je n’ai pas besoin que tu viennes en rajouter constamment. J’aimerais beaucoup que tu positives, Paul. Que tu apprennes à voir le bon côté des choses, que tu regardes le verre à moitié plein. Tout est dans le mental, Paul, tu dois t’exercer et arrêter de te complaire toujours dans cette posture déprimante. Moïse aussi avait cette tendance, c’était très pénible. J’aimerais tant que tu dégages un peu de joie de vivre, que tu arrêtes de me polluer l’espace avec tes jérémiades, ça me fout en down tu peux pas imaginer.

XXXX

***

Seigneur,

Les gens ?

Paul 

***

Paul,

Ecoute, concernant les gens qui brûlent, je n’ai rien à voir avec ça. Je ne dis pas que je n’ai jamais rien eu à voir avec des gens qui brûlent, mais là, franchement non. Les gens font des tas de choses, Paul. Ils brûlent, ils font leur courses au supermarché, ils essaient de trouver du sexe sur internet, les gens sont très bizarres. Je ne comprends pas plus les gens que toi. Les buissons qui brûlent, je connais mieux, parce que les buissons, c’est simple, ils n’ont pas un psychisme très développé. Mais les gens, Paul… les gens, c’est simplement trop compliqué, et trop déprimant. Si je passais ma journée à me préoccuper de ce que les gens font, je crois que je deviendrais fou. Fou et dépressif. Paul, tu dois arrêter de t’occuper de ce que font les gens, d’y chercher un sens. Ils veulent brûler ? Laisse-les brûler. Parfois les gens font quelque chose alors qu’ils veulent l’inverse ! C’est à se tirer les cheveux. Non, crois-moi, Paul, laisse les gens là où ils sont, c’est le meilleur moyen de dormir tranquille. Si tu t’occupais moins des gens, tu serais certainement moins déprimant.

XXXX

***

Seigneur,

J’ai parfois beaucoup de mal à décrypter Tes allusions. Les gens dont je parle ne veulent pas vraiment brûler. Ils sont brûlés par d’autres gens. Par ailleurs, il commence à faire très chaud ici, et le petit muret de pierre où je m’abrite actuellement ne m’a pas l’air très solide, même s’il a été construit avec les pierres de la foi.

Paul

***

Paul,

Tu ne peux pas tout mélanger ainsi. Les murets et les gens, ce sont des choses différentes. Tu nages dans la confusion parce que tu es déprimé, et parce que tu t’occupes des gens. Cette conversation ne mène nulle part, Paul. Laisse les gens et les murets de côté, concentre toi sur l’essentiel. Sois simple. Apprécie l’instant. Ne t’encombre pas.
Et cesse de me parler des gens. Je n’ai rien à voir avec les gens. Il y en a trop, ils sont trop bizarres.

XXXX

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God Please Stop (whatever you’re doing)

– Il dit quoi, le GPS ?
– Il dit rien, il se tait, je l’ai éteint.
– Je sais pas où je vais, du coup.
– Non mais je peux te guider en visuel, je connais le coin par coeur.
– T’es sûr ?
– Tu prends à droite, là.
– Tout de suite à droite ?
– Non, c’est pas une rue, c’est une entrée de parking. Sur le boulevard. Tu prends à droite et tu prendras à gauche deux rues plus tard. Mais t’as le temps, y a des feux partout.
– J’ai jamais conduit avec le GPS éteint, je crois.
– Tu sais pas te servir d’une carte ?
– Non. T’as connu les cartes routières, toi ?
– Tu sais, tu peux toujours en acheter. C’est pas une époque révolue.
– J’aime bien le GPS, en même temps. Ça te dispense complètement de réfléchir.
– Oui, c’est vraiment l’invention dont on avait besoin.
– La machine te parle – et elle te parle fort, d’ailleurs – mais elle te dit exactement quoi faire. Et toi, t’es le robot.
– Comme dans 90% des jobs aujourd’hui.
– C’est quand même pas une mauvaise invention. Au lieu de te foutre dans un poteau parce que t’arrives pas à replier ta carte. Je suis sûr qu’avant le GPS, il y avait une statistique des accidents de la route pour ça.
– Tu vois que tu connais, les cartes. Tu sais que c’est chiant à replier.
– Mais je déteste les cartes, en fait. Tu sais pas où t’es, avec une carte. Tu peux te retrouver à chercher ton chemin à Melun alors que t’es à Vancouver. Le GPS, il sait où t’es, il le perd jamais de vue, ça a un côté rassurant. Il te tapote la main et il te dit que tout va bien se passer. T’es jamais tout seul avec un GPS.
– Je vois plutôt ça comme un gros boy scout qui arrête pas de te rappeler de manger des fruits et des légumes pendant que tu fais la queue chez le fromager. Si au moins ils les programmaient avec un peu d’humour. Tu pourrais te faire couvrir d’éloges par ton GPS. Vous avez magnifiquement négocié ce virage. Vos changements de régime moteur sont très élégants. On ne vous a jamais dit que vous aviez un toucher de volant sensuel ?
– Je vais où, là ?
– Tu prends tout droit. Tu vois, en fait le GPS il répond à deux questions que je me pose quasiment jamais. Où est-ce que je suis ? parce que je m’en fous, c’est partout pareil, et où est-ce que je vais ? parce que je sais que c’est nulle part. La question que je me pose le plus régulièrement dans ma vie, c’est plutôt : mais comment j’ai fait pour en arriver là ? Moi, un GPS qui peut me dire ça, je l’achète.
– Mais il a la mémoire, justement, le GPS. Il se souvient très bien, lui. Il peut te rappeler toutes tes erreurs par le menu. Et tu sais quoi ? Toutes les erreurs que t’as faites, c’est parce que tu l’as pas écouté. Je te dis, à partir du moment où tu réfléchis plus, tu peux pas te planter. Si tu te retrouves à Berck-sur-le-Nil, ben c’est pas une erreur, c’est le GPS. Faut que tu entres dans ton siècle : plus personne n’est responsable. Tout ce qui se passe, c’est le GPS.
– Non mais t’as raison, c’est vrai, ça a un côté soulageant.
– Tu vois ? Toi t’es toujours en train de te demander c’est quoi ta responsabilité, ce que t’as fait bien, ce que t’as fait mal – surtout ce que t’as fait mal – et est-ce que tu pourrais faire mieux. Alors que regarde autour de toi : personne se pose la question, tout le monde suit le GPS.
– Oui mais le GPS, il est programmé, et il est programmé par quelqu’un. Donc il faut bien que ce quelqu’un se tape de faire le boulot, à un moment.
– Oui, eh bien t’inquiète pas, laisse le s’en charger. Décontracte-toi, apprends à jouir de ton aliénation.

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nel mezzo del cammin di nostra vita

Dès fois quand je regarde ce qu’ont donné mes quarante premières années de vie, je me dis que je ferais sans doute mieux de rendre les quarante suivantes avant de les utiliser, parce que de toute évidence, j’ai pas compris comment on s’en sert.

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l’hippopotame en toi

– J’ai un côté très animal dans le sexe, moi.
– L’animalité dans le sexe, y a rien de plus construit.
– Je te parle pas du délire furry. Je te parle régression à la pulsion, au truc agressif primaire.
– Oui, j’ai compris. Mais le fait de placer de l’agressivité dans le sexe, c’est une construction.
– Tu crois pas que le sexe est un truc agressif par nature ? Quand tu te lâches totalement, physiquement, y un truc un peu bestial qui sort, t’es dans l’agressivité à fond ! Le lion, quand il se fait la lionne, il la tient par la nuque avec la gueule, avec les crocs.
– Et d’une, c’est l’image que toi tu y vois. Pour autant qu’on sache, pour eux, c’est peut-être un geste de tendresse. Par la nuque avec la gueule, c’est la façon dont la mère tient le petit, par exemple. Et de deux, c’est des lions. C’est des carnassiers, ils sont taillés pour la chasse et la mise à mort, donc oui, ils ont de l’agressivité, c’est même ce qui les caractérise. Et en plus, ce sont des félins, donc en terme d’ethos animal, ils sont individualistes, et ils interagissent à travers des protocoles très précis pour surtout pas apparaître comme une menace. Si tu veux parler instinct bestial, je te propose, on prend l’hippopotame.
– Je vois pas ça très sexy, des hippopotames qui baisent.
– Tu dis ça parce qu’ils sont gros, c’est encore une représentation construite : valorisation de la maigreur comme signe de performance. Alors que par exemple, les hippopotames, ils baisent dans la boue, ils en foutent partout en faisant plein de bruit, on les entend jusqu’au bout de la savane. C’est hyper bestial, ils se lâchent totalement quand ils baisent, les hippopotames. Mais c’est pas ton imaginaire de l’animalité. Parce que l’hippopotame, il est herbivore, et le lion, il est slim, il est racé, il chasse du gnou et tout et tout.
– Ouais ben non, j’ai pas envie de penser aux hippopotames. Ça me fait rire, un hippopotame, moi.
– Et pourtant, c’est dix fois plus dangereux qu’un lion. Tu vas en Afrique, les mecs ils ont beaucoup plus de respect pour l’hippopotame. C’est gros, c’est puissant, ça s’énerve. Non, la prochaine fois, tu penseras à moi, et tu lâcheras l’hippopotame qui dort en toi.
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movies vs life

Au départ, j’ai pensé que la vie était comme dans les films.

Après, j’ai pensé qu’il fallait que la vie soit comme dans les films.

Ensuite, j’ai pensé que la vie n’avait rien à voir avec les films.

Finalement, j’ai compris que la vie n’existe pas, c’est une invention des films.

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Sur ton cellulaire

– J’appelle pour l’annonce sur internet.
– Quelle annonce ?
– Celle pour passer un bon moment.
– Vous devez faire erreur.
– … Ah bon ?
– Mais si vous voulez, je peux vous faire passer un mauvais moment.
– … Vous êtes sur Lyon ?
– Non. Nevers.
– Ah oui, c’est pas pareil.
– Non. Ça fait partie du mauvais moment.
– Je ne comprends pas.
– D’abord, vous faites trois heures et demi de train avec un changement de quarante minutes, tout ça pour parcourir deux cent soixante bornes.
– Je vois.
– Je vous accueille dans une gare glaciale en faisant la gueule.
– D’accord.
– Et de là, nous nous rendons dans une cafétéria de supermarché. Il faudra suivre sur huit cent mètres une longue route, avec un tout petit trottoir qui s’effrite. Les voitures défileront en permanence et je ne décrocherai pas un mot, décocherai pas un regard de tout le trajet.
– Pas un regard, vraiment ?
– Je nierai votre existence de tout mon corps.
– C’est une route déplaisante ?
– Très. Toutes les formes modernes d’agression. Bruit, pollution, publicités vulgaires, pas d’espace piéton, béton sans verdure, on y est en permanence frôlé de très près par toutes les voitures qui sont en train de passer de 50 à 70 km/h. Nous serons à pied et je vous ferai porter dans un silencieux non-dit toute la responsabilité de cet itinéraire pénible.
– Il pleuvra et nous serons éclaboussés par le passage des véhicules ?
– Je ne peux pas garantir la pluie. Mais en revanche la cafétéria n’offre que des sièges hauts bancals, inconfortables, et collants. Ça sent l’odeur de supermarché, il y a des néons qui font mal aux yeux et une voix d’animateur qui annonce des promotions en permanence et des offres de crédit.
– Intéressant… Au niveau boisson ?
– Une lavasse dans un gobelet plastique avec une touillette qui a déjà servi.
– La conversation ?
– Il n’y en aura pas. Vous ferez des efforts désespérés pour la nourrir, et je répondrai par monosyllabes, en tapotant sur mon smartphone.
– On vous enverra des messages ?
– Tout le temps. Ça n’arrêtera pas de vibrer. Régulièrement des notifications sur un vieux son d’alert windows, réglé un peu en-dessous du seuil de douleur. Je me précipiterai pour lire mes whatsapp et rire des blagues. Je serai sur tous les réseaux sociaux, en connexion instantanée et totale avec tout le monde sauf vous.
– Des appels ?
– A en devenir fou, avec une sonnerie dance des années 91-92 remixée pendant le covid. Je les laisserai sonner sans les prendre, avec une politesse outrageusement démonstrative à votre égard – mais sans jamais envisager le renvoi d’appel ou le mode silence.
– Vous ne décrocherez pas du tout ?
– Si, je prendrai un seul appel, en invoquant une urgence professionnelle. Ce sera un vague collègue de travail qui me drague et nous ferons des remarques sans intérêt sur le patron. Je raccrocherai en le traitant de boulet, sans que vous sachiez bien si je parle de lui ou de vous.
– Quelle durée de prestation ?
– Une heure tout compris depuis l’arrivée à la gare jusqu’au moment où je vous plante sous un faux prétexte avec un air malaisé d’urgence feinte. Vous m’apercevrez près de la porte retrouver joyeusement un ami et partir avec lui.
– Pour quel prix ?
– Très cher. Les billets et le café sont à votre charge, ainsi qu’un pro rata du forfait téléphone.
– Le forfait téléphone, c’est exagéré.
– On parle d’un mauvais moment, pas d’un rencard médiocre comme vous pouvez en avoir au bar du coin.
– Quand est-ce que je jouis, moi, là-dedans ?
– Dans le train du retour, à l’incident qui vous immobilise en rase campagne pour une éternité, sans aucune explication, et qui vous fera rentrer chez vous en taxi à plus de deux heures du matin.
– Bon… Ecoutez, j’ai une dispo vendredi.
– Vendredi c’est impossible. Quel est le jour qui vous arrange le moins ?
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le grand secret du bonheur

(ici le manuscrit est brûlé et illisible sur plusieurs pages)

… la joie, de sorte avant que nul ne pourra être malheureux sans savoir comment remédier à son état et que tristesse d’âme, mélancolie et grand désespoir seront pour ainsi dire non pas effacés mais comme peu à peu oubliés de l’état des êtres du monde, et jusqu’à l’affliction de notre mortelle condition.

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