— J’appelle pour l’annonce sur internet.
— Quelle annonce ?
— Celle pour passer un bon moment.
— Vous devez faire erreur.
— … ah bon ?
— Je propose uniquement des mauvais moments.
— Oh… Mais vous êtes sur Lyon ?
— Non. Nevers.
— Ah.
— Ça fait partie de la prestation.
— Je ne comprends pas.
— D’abord, vous faites trois heures de train avec un changement de quarante minutes, tout ça pour parcourir deux cent soixante bornes.
— Je vois.
— Je vous accueille dans une gare glaciale en faisant la gueule.
— D’accord.
— Et de là, nous nous rendons dans une cafétéria de supermarché. Il faudra suivre sur huit cent mètres une longue route, avec un tout petit trottoir qui s’effrite. Les voitures défileront en permanence et je ne décrocherai pas un mot, ne décocherai pas un regard de tout le trajet.
— Pas un regard, vraiment ?
— Je nierai votre existence de tout mon corps.
— C’est une route déplaisante ?
— Plutôt. Toutes les formes modernes d’agression. Bruit, pollution, publicités vulgaires, pas d’espace piéton, béton sans verdure, on y est en permanence frôlé par toutes les voitures qui sont en train de passer de 50 à 70 km/h. Nous serons à pied et je vous ferai porter dans un silencieux non-dit toute la responsabilité de cet itinéraire pénible.
— Il pleuvra et nous serons éclaboussés par le passage des véhicules ?
— Je ne peux pas garantir la pluie. Mais en revanche la cafétéria n’offre que des sièges hauts, bancals, inconfortables, et collants. Ça sent l’odeur de supermarché, il y a des néons qui font mal aux yeux et une voix d’animateur qui annonce des promotions en permanence, ainsi que des offres de crédit.
— Intéressant. Au niveau boisson ?
— Une lavasse dans un gobelet plastique avec une touillette qui a déjà servi.
— La conversation ?
— Il n’y en aura pas. Vous ferez des efforts désespérés pour la nourrir, et je répondrai par monosyllabes, en tapotant sur mon smartphone.
— On vous enverra des messages ?
— Tout le temps. Ça n’arrêtera pas de vibrer. Régulièrement des notifications sur un vieux son d’alert windows, réglé un peu en-dessous du seuil de douleur. Je me précipiterai pour lire mes whatsapp et rire des blagues. Je serai sur tous les réseaux sociaux, en connexion instantanée et totale avec tout le monde sauf vous.
— Des appels ?
— A en devenir fou, avec une sonnerie dance des années 91-92 remixée pendant le covid. Je les laisserai sonner sans les prendre, avec une politesse outrageusement démonstrative à votre égard – mais sans jamais envisager le renvoi d’appel ou le mode silence.
— Vous ne décrocherez pas du tout ?
— Si, je prendrai un seul appel, en invoquant une urgence professionnelle. Ce sera un vague collègue de travail qui me drague et nous ferons des remarques sans intérêt sur le patron. Je raccrocherai en le traitant de boulet, sans que vous sachiez bien si je parle de lui ou de vous.
— Quelle durée de prestation ?
— Une heure tout compris depuis l’arrivée à la gare jusqu’au moment où je vous plante sous un faux prétexte avec un air malaisé d’urgence feinte. Vous m’apercevrez près de la porte retrouver joyeusement un ami et partir avec lui.
— Pour quel prix ?
— Très cher. Les billets et le café sont à votre charge, ainsi qu’un pro rata du forfait téléphone.
— Le forfait téléphone, c’est exagéré.
— On parle d’un mauvais moment, pas d’un rencard médiocre comme vous pouvez en avoir au bar du coin.
— Quand est-ce que je jouis, moi, là-dedans ?
— Dans le train du retour, à l’incident qui vous immobilise en rase campagne pour une éternité, sans aucune explication, et qui vous fera rentrer chez vous en taxi à plus de deux heures du matin.
— Bon… Ecoutez, j’ai une dispo vendredi.
— Vendredi c’est impossible. Quel est le jour qui vous arrange le moins ?
— Quelle annonce ?
— Celle pour passer un bon moment.
— Vous devez faire erreur.
— … ah bon ?
— Je propose uniquement des mauvais moments.
— Oh… Mais vous êtes sur Lyon ?
— Non. Nevers.
— Ah.
— Ça fait partie de la prestation.
— Je ne comprends pas.
— D’abord, vous faites trois heures de train avec un changement de quarante minutes, tout ça pour parcourir deux cent soixante bornes.
— Je vois.
— Je vous accueille dans une gare glaciale en faisant la gueule.
— D’accord.
— Et de là, nous nous rendons dans une cafétéria de supermarché. Il faudra suivre sur huit cent mètres une longue route, avec un tout petit trottoir qui s’effrite. Les voitures défileront en permanence et je ne décrocherai pas un mot, ne décocherai pas un regard de tout le trajet.
— Pas un regard, vraiment ?
— Je nierai votre existence de tout mon corps.
— C’est une route déplaisante ?
— Plutôt. Toutes les formes modernes d’agression. Bruit, pollution, publicités vulgaires, pas d’espace piéton, béton sans verdure, on y est en permanence frôlé par toutes les voitures qui sont en train de passer de 50 à 70 km/h. Nous serons à pied et je vous ferai porter dans un silencieux non-dit toute la responsabilité de cet itinéraire pénible.
— Il pleuvra et nous serons éclaboussés par le passage des véhicules ?
— Je ne peux pas garantir la pluie. Mais en revanche la cafétéria n’offre que des sièges hauts, bancals, inconfortables, et collants. Ça sent l’odeur de supermarché, il y a des néons qui font mal aux yeux et une voix d’animateur qui annonce des promotions en permanence, ainsi que des offres de crédit.
— Intéressant. Au niveau boisson ?
— Une lavasse dans un gobelet plastique avec une touillette qui a déjà servi.
— La conversation ?
— Il n’y en aura pas. Vous ferez des efforts désespérés pour la nourrir, et je répondrai par monosyllabes, en tapotant sur mon smartphone.
— On vous enverra des messages ?
— Tout le temps. Ça n’arrêtera pas de vibrer. Régulièrement des notifications sur un vieux son d’alert windows, réglé un peu en-dessous du seuil de douleur. Je me précipiterai pour lire mes whatsapp et rire des blagues. Je serai sur tous les réseaux sociaux, en connexion instantanée et totale avec tout le monde sauf vous.
— Des appels ?
— A en devenir fou, avec une sonnerie dance des années 91-92 remixée pendant le covid. Je les laisserai sonner sans les prendre, avec une politesse outrageusement démonstrative à votre égard – mais sans jamais envisager le renvoi d’appel ou le mode silence.
— Vous ne décrocherez pas du tout ?
— Si, je prendrai un seul appel, en invoquant une urgence professionnelle. Ce sera un vague collègue de travail qui me drague et nous ferons des remarques sans intérêt sur le patron. Je raccrocherai en le traitant de boulet, sans que vous sachiez bien si je parle de lui ou de vous.
— Quelle durée de prestation ?
— Une heure tout compris depuis l’arrivée à la gare jusqu’au moment où je vous plante sous un faux prétexte avec un air malaisé d’urgence feinte. Vous m’apercevrez près de la porte retrouver joyeusement un ami et partir avec lui.
— Pour quel prix ?
— Très cher. Les billets et le café sont à votre charge, ainsi qu’un pro rata du forfait téléphone.
— Le forfait téléphone, c’est exagéré.
— On parle d’un mauvais moment, pas d’un rencard médiocre comme vous pouvez en avoir au bar du coin.
— Quand est-ce que je jouis, moi, là-dedans ?
— Dans le train du retour, à l’incident qui vous immobilise en rase campagne pour une éternité, sans aucune explication, et qui vous fera rentrer chez vous en taxi à plus de deux heures du matin.
— Bon… Ecoutez, j’ai une dispo vendredi.
— Vendredi c’est impossible. Quel est le jour qui vous arrange le moins ?