Blog Details

God Please Stop (whatever you’re doing)


— Il dit quoi, le GPS ?
— Il dit rien, il se tait, je l’ai éteint.
— Je sais pas où je vais, du coup.
— Non mais je peux te guider en visuel, je connais le coin par coeur.
— T’es sûr ?
— Tu prends à droite, là.
— Tout de suite à droite ?
— Non, ça, c’est une entrée de parking. A droite là, sur le boulevard. Tu prends à droite et tu prendras à gauche deux rues plus tard. Mais t’as le temps, y a des feux partout.
— J’ai jamais conduit avec le GPS éteint, je crois.
— Tu sais pas te servir d’une carte ?
— Non. T’as connu les cartes routières, toi ?
— Tu sais, tu peux toujours en acheter. C’est pas une époque révolue.
— J’aime bien le GPS, en même temps. Ça te dispense complètement de réfléchir.
— Oui, c’est vraiment l’invention dont on avait besoin.
— La machine te parle, et elle te parle fort, d’ailleurs – mais elle te dit exactement quoi faire. Et toi, t’es le robot.
— Comme dans 90% des jobs aujourd’hui.
— C’est quand même pas une mauvaise invention. Au lieu de te foutre dans un poteau parce que t’arrives pas à replier ta carte. Je suis sûr qu’avant le GPS, il y avait une statistique des accidents de la route pour ça.
— Tu vois que tu connais, les cartes. Tu sais que c’est chiant à replier.
— Mais je déteste les cartes, en fait. Tu sais pas où t’es, avec une carte. Tu peux te retrouver à chercher ton chemin à Melun alors que t’es à Vancouver. Le GPS, il sait où t’es, il le perd jamais de vue, ça a un côté rassurant. Il te tapote la main et il te dit que tout va bien se passer. T’es jamais tout seul avec un GPS.
— Je vois plutôt ça comme un gros boy scout qui arrête pas de te rappeler de manger des fruits et des légumes pendant que tu fais la queue chez le fromager. Si au moins ils les programmaient avec un peu d’humour. Tu pourrais te faire couvrir d’éloges par ton GPS. Vous avez très élégamment négocié ce virage. Votre gestion des changements de régime moteur est remarquablement douce. On ne vous a jamais dit que vous aviez un toucher de volant sensuel ?
— Attends, je vais où, là ?
— Tu prends tout droit. Tu vois, en fait le GPS il répond à deux questions que je me pose quasiment jamais. Où est-ce que je suis ? parce que je m’en fous, c’est partout pareil, et où est-ce que je vais ? parce que je sais que c’est nulle part. La question que je me pose le plus régulièrement dans ma vie, c’est plutôt : mais comment j’ai fait pour en arriver là ? Moi, un GPS qui peut me dire ça, je l’achète.
— Mais il peut te le dire, le GPS. Il peut te rappeler toutes tes erreurs par le menu. Et tu sais pourquoi ? Toutes les erreurs que t’as faites, c’est simplement parce que tu l’as pas écouté. Je te dis, à partir du moment où tu réfléchis plus, tu peux pas te planter. Si tu te retrouves à Berck-sur-le-Nil, ben c’est pas une erreur, c’est le GPS. Faut que tu entres dans ton siècle : plus personne n’est responsable. Tout ce qui se passe, c’est le GPS.
— Non mais t’as raison, c’est vrai, peut-être que ça a un côté soulageant.
– Tu vois ? Toi t’es toujours en train de te demander c’est quoi ta responsabilité, ce que t’as fait bien, ce que t’as fait mal – surtout ce que t’as fait mal, bien sûr – et est-ce que tu pourrais faire mieux. Alors que, regarde autour de toi : personne se pose la question, tout le monde suit le GPS.
— Oui mais le GPS, il est programmé, et il est programmé par quelqu’un. Donc il faut bien que ce quelqu’un se tape de faire le boulot, à un moment.
— Oui, eh bien t’inquiète pas, laisse le s’en charger. Décontracte-toi, apprends à jouir de ton aliénation.