Un souvenir d’été. Une campanule solitaire.
Une rotundifolia, une feuille ronde. C’est son nom anglais qui la dit le mieux : harebell.
Un exemplaire unique, une graine apportée par le vent, une fine et haute tige lancée au-dessus des herbes silencieuses, et parsemée de clochettes mauves, délicates et nerveuses, d’une précision de forme que la miniaturisation rend encore plus émouvante – des doigts de nouveau-né.
Elle a poussé entre les deux arbres qui soutiennent le hamac, juste à gauche de l’endroit où on pose les pieds pour en descendre.
Comme dotée d’une espèce de prescience, tel un chat qui esquive au millimètre près la caresse d’une main qui se tend vers lui, elle passe, dans son ascension, à la limite de l’endroit que le filet du hamac atteint, lorsqu’il se déforme sous la charge d’un corps humain.
De sorte qu’on peut se prélasser, et même se balancer doucement dans le mélange d’ombre et de soleil donné par le feuillage, sans risquer d’endommager la campanule, mais au contraire, en la flattant d’un frôlement.
Amicale et tendre, d’un charme discret mais d’une incroyable perfection pour le regard qui s’arrête et contemple.
Pureté saisissante de la structure, simple et modeste et pourtant d’un raffinement presque japonais : d’une texture à mi-chemin entre la soie et le papier à cigarette, les corolles allongées des petites cloches s’évasent à leur terme comme une minuscule main ouverte, révélant autant que protégeant la lancette du pistil et les sculptures jumelles, grenues, des étamines.
Les fleurs sont réparties une à une le long de la tige avec une grâce un peu gauche mais naturelle : l’équilibre impair d’un puissant optimum géométrique.
Elle poussait là, sauvage, sans frère ni soeur, comme elle poussait déjà il y a cent mille ans, dans les prés de Carnac.
Pendant que, du fond du hamac, j’observais seul l’agonie d’un amour sous l’ample clarté des jours d’été – avec le même pragmatisme mélancolique que la nuit d’hiver où j’avais accompagné l’agonie de ma chatte à la lueur laborieuse d’un néon de salle de bain – la campanule unique grimpait vers moi, de végétal fragile et de papier mauve, apportant, muette, son message énigmatique mais réconfortant, déposant au vent le baume de sa sérénité intemporelle et sa certitude de la bonté.
C’est à elle, à la campanule de cet été-là, que j’ai pensé quand je t’ai vue, haute tige belle à arrêter le coeur, te balançant dans la brise invisible de la même grâce mouvante un peu gauche, comme un déséquilibre parfait, comme la suggestion de la danse.