Accroché au port industriel qui serpente à cet endroit sous les vertes collines normandes, énorme monstre venu paître sous les grues de chargement, le cargo n’a pas bougé des 48h que j’ai passées dans le coin.
Il paraît que c’est un petit, et que sur les océans, d’impensables colosses – qui jamais ne remonteraient l’estuaire – tracent des sillages profonds et puissants comme des dieux.
Mais à moi, si légère agglomération de molécules carbonées, il était déjà, sur ce coin de Seine, avec ses quinze étages de haut et ses deux cent mètres de long, une merveille à ce point irréelle qu’il me fallait constamment refaire l’effort de persuader mon cerveau de sa présence.
Il avait l’air d’un cheval de trait au repos : endurci depuis de nombreux hivers au travail pénible de la mer, marqué des cicatrices du harnais, les muscles formés à la poursuite infinie d’un même effort.
D’une écoutille de proue jaillissait la fontaine légère des eaux de pompe, et sa jumelle à la poupe.
Je ne sais pourquoi il a attiré mon attention plus que ses frères, répartis nonchalamment le long du quai, aussi imposants, aussi placides que lui.
Peut-être simplement à cause de son nom.
Né à Hong-Kong et baptisé avec cet esprit de la tradition orientale qui place honnêtement sa foi dans la routine des symboles mais qui, à l’esprit occidental, sonne souvent comme une sorte d’humour grinçant, – ayant d’ailleurs certainement perdu dans la traduction anglaise les connotations idéogrammatiques propres à son blase tutélaire chinois – il était Golden Endeavour.
Je n’aurais su mieux résumer – tout.